
DANS MON INSOUCIANCE
dans mon insouciance
j'ai écrit
avec une aiguille de montre
des poèmes en forme de quarts d’heure
le temps creuse
peu à peu
au coin de mon œil
la marque de mon âge
mon enfant, ma douce enfant
ne ris pas de ton père fatigué
jeune
j’ai écrit
avec une aiguille de montre
des poèmes en forme de quarts d’heure

MOI, CHEVAL
cheval,
je n’irais pas comme un cheval sauvage
j’ai perdu la fougue de ma jeunesse
et gambader ne m’amuse pas
je n’irais pas comme un cheval de course
je n’ai jamais eu l’élégance des bêtes de race
et je suis un peu paresseux
je n’irais pas comme un cheval de cirque
j’ai peur de la foule, de la lumière et du bruit
et l’on ne me dresse pas comme ça
je n’irais pas comme un cheval de trait
l’air de la campagne ne me vaut rien
et je n’ai pas la force
cheval,
je n’irais pas comme un cheval

LE CHAT AU PIED DU REVERBERE
le chat au pied du réverbère me tourne le dos
il fait celui qui n'entend rien
mais il sait que je suis là
puisque j'ai fait fuir l'oiseau du réverbère
le chat au pied du réverbère
convoitait l'oiseau du réverbère
et maintenant le chat au pied du réverbère
me tourne le dos
ne sois pas fâché
des oiseaux, tu sais
mais le chat au pied du réverbère
me tourne le dos
alors je frappe du pied au pied du réverbère
et le chat s'envole à son tour
et je reste là
au pied du réverbère
à guetter les oiseaux

QU'ADVIENDRA-T-IL DE MOI
qu’adviendra-t-il de moi
lorsque celui qui rêve que je suis vivant
s’éveillera
qu’adviendra-t-il de l’amour que j’ai reçu
sans le rendre en entier
qu’adviendra-t-il des coups que j’ai reçus
sans les rendre du tout
qu’adviendra-t-il des amis que j’ai perdus
et de ceux qui m’ont perdu
comme si l’on pouvait me gagner
qu’adviendra-t-il des minutes que j’ai noyées
et des heures que j’ai imaginées
et des musiques et des parfums que j’ai aimés
et de la douleur
j’en perdrai sûrement le souvenir
lorsqu’il en perdra le rêve
celui qui rêve que je suis vivant
j’en perdrai sûrement le souvenir
le souvenir sinon pire

QUAND JE SERAI VIEUX
les brindilles que j’ai ramassées enfant
les coquillages
les ficelles et les bouts de papiers
les livres que j’ai lus adolescent
les livres que je n’ai pas lus
et mes vêtements usés
avec les allumettes que j’ai achetées
dès mon premier salaire
j’y ai mis le feu
depuis
j’ai brûlé mes illusions et mes naïvetés
mes angoisses
mes égarements et mes doutes
aussi
et le deuil de mes espoirs
aussi
j’ai brûlé mes ciels bleus
mes nuages noirs et mes horizons brumeux
mes rêves de justice et mes tempêtes
aussi
j’ai brûlé ma plus belle histoire d’amour
et la crainte de n’en connaître plus
aussi
j’ai brûlé mes remords et mes hontes
mes joies futiles et mes petits calculs
aussi
j’ai brûlé mes victoires faciles et plusieurs échecs
le souvenir des épreuves
et une cicatrice cachée
aussi
j’ai brûlé tous mes outils
mes cahiers de brouillon et mes enthousiasmes
aussi
j’ai brûlé mes pleurs nocturnes
ma peur de tout et mes porte-bonheur
aussi
je saurai bien
quand je serai vieux
que faire des cendres

MOI, DANS UNE AUTRE VIE
moi, dans une autre vie
j'ai été jongleur-acrobate
dans un cirque forain
et cracheur de feu
j'ai aussi été montreur d'ours
mais c'était dans une autre vie
moi, dans une autre vie
j'ai été manutentionnaire
dans une fabrique de fleurs en tissus
moi, j'ai été coiffeur pour dames
et artiste-peintre
je suis allé en Chine et sur la lune
j'ai été navigateur
j'ai été esclave
mais ces vies-là ne m'ont pas plu
alors j'ai choisi cette vie-ci
moi, dans cette vie-ci,
je suis l'amant de Corinne
et cette vie-ci
sera la dernière de mes vies

J'ATTENDS ENCORE
à collectionner les heures discrètes
et les promenades sans but
à collectionner les sourires amis
et les peurs du lendemain
j’ai récolté quelques cheveux blancs
à collectionner les gouttes de pluie
et les battements de cils
à collectionner les parfums diffus
et les livres anciens
j’ai récolté quelques cheveux blancs
à collectionner les grains de poussière
et les regards vagues
à collectionner les horloges brisées
et les couleurs de l’automne
j’ai récolté quelques cheveux blancs
j’ai récolté quelques cheveux blancs
et les mains vides
et le cœur mi-clos
j’attends encore
j’attends pourtant encore
j’attends encore que le vent m’apporte
quelque souvenir égaré et errant
une plume de duvet d’un oisillon devenu adulte
ou ma jeunesse envolée
j’attends encore
j’attends pourtant encore
j’attends encore en fuyant les miroirs

LA BUEE
la buée dans mes yeux, c'est de la buée
le froid contre le chaud, c'est de la buée
le froid de ton ennui
c'est de la buée
contre le chaud de mon amour
c'est de la buée
et si la buée coule
c'est peut-être une larme

L'AUTOMNE
l'automne
c'est un morceau d'été
qui traîne
sa nostalgie
une feuille roussie
c'est encore un peu de chaleur
une feuille dorée
c'est encore un rai de lumière
une feuille jaunie
c'est encore un trait de douceur
une feuille séchée
c'est déjà un bout de mémoire
une feuille tombée
c'est déjà une lueur d'espoir
une feuille morte
c'est déjà un fragment d'éternité

ENTRE MA NAISSANCE ET MA MORT
pour résumer ma vie
il me faudrait une seconde
cet instant précis où je n’aurai plus mal
mais je ne l’ai pas vécue
pour résumer ma vie
il me faudrait une journée
cette poignée d’heures où j’aurai tout compris
mais je ne l’ai pas vécue
pour résumer ma vie
il me faudrait une année
ce fagot de saisons que j’aurai tant aimées
mais je ne l’ai pas vécue
pour résumer ma vie
il me faudrait une vie
ce nombre de sommets que je n’aurai pas gravis
ce nombre des sourires que je n’aurai pas échangés
ce nombre d’attentes et d’envies
et ces milliers d’arômes et de musiques
mais je ne l’ai pas vécue
pour résumer ma vie
il me faudrait plusieurs vies
au moins

L'OUBLI
ma mémoire
lorsque j’étais jeune
était dite infaillible
je connaissais
mille histoires et mille poèmes
mille dates et mille lieux
mille musiques et mille visages
nombreux se sont enfuis
sans signe avant-coureur ni mot d’adieu
combien est douloureux
de lire ou entendre
une poésie ou une mélodie
et croire la reconnaître
sans en pouvoir prévoir la suite
ma mémoire
lorsque j’étais jeune
était dite infaillible
le plaisir d’apprendre à nouveau
compense mal
ce sentiment de déchéance
et de faiblesse
que le temps fait peser sur mes épaules
l’oubli qui creuse
des galeries dans ma tête
y fait une place
que rien n’occupera plus
et je me souviens que
ma mémoire
lorsque j’étais jeune
était dite infaillible

JE NE ME CACHE PAS
je ne me cache pas
je vous montre mon masque
il est fait à l'image précise
de mon visage
afin que vous me reconnaissiez
je ne veux me soustraire
ni à vos regards
ni à votre présence
je ne me cache pas
je vous montre mon masque
je me retire en moi
derrière ce masque
de moi

MES ANCIENNES DOULEURS
j’ai une ancienne douleur
qui se réveille
quand je marche trop longtemps
et une autre
qui se réveille
quand je porte trop lourd
j’ai d’anciennes douleurs
et de récentes
j’ai des douleurs
qui s’endorment un peu
quand je bois un peu
et d’autres
quand je bois trop
j’ai une ancienne douleur
qui se réveille
quand je pense trop loin
et une autre
qui se réveille
quand je dors trop bien
j’ai d’anciennes douleurs
et de récentes
j’ai aussi des douleurs
qui ne se réveillent pas
car elles ne dorment jamais

REUSSIR MES REVES
je veux réussir mes rêves
pas les vivre
pas forcément
les rêver
les rêver beaux les rêver grands
les réussir
mes rêves yeux fermés
et mes rêves yeux ouverts
mes rêves de sommeil
et mes rêves de veille
mes rêves tout debout
mes rêves de gloire et mes rêves d’amour
mes rêves de paix
et mes rêves de bonheur
mes rêves sans peur
mes rêves sans honte et sans remords
mes rêves
réussir mes rêves
je veux réussir mes rêves
mes cauchemars, eux,
mes cauchemars ne me rateraient pas

DANS MA BOITE A SECRETS
dans ma boîte à secrets
j’ai retrouvé une part de gâteau
que j’avais enveloppée dans un soupir
lorsque j’étais enfant
j’ai retrouvé aussi
des médailles en chocolat
qui ont perdu toute saveur
des rêves de grandeur
un jouet cassé
et un carnet de notes
le tout noué dans un regret
un deuil, un espoir, des rires
un porte-clefs, un tube de colle
une pomme de pin
un protège-cahier et quelques buvards
un bouchon de champagne
j’ai retrouvé aussi
une plume noircie d’encre séchée
quelques mots d’amour
une peliculle photo non utilisée
un carnet de tickets de piscine
et une paire de lunettes
mais
je n’ai jamais porté de lunettes
cette boîte à secrets n’est pas la mienne
ce soupir, ce rêve de grandeur, cet espoir
ne sont pas les miens
je suis entré
par méprise et par effraction
dans la mémoire d’un autre
c’est curieux
je me sens dans cette mémoire
comme dans la mienne

LES HEURES
il y a les heures de face
et les heures de profil
celles qui sentent le printemps
et celles qui sentent l'orange amère et le cacao
celles qui indiquent le nord
celles auxquelles on pense fatigué
et celles qu'on ne regrette jamais
il y a les heures de derrière
et les heures d'à-côté
celles qui brillent dans la pénombre
et celles qui crissent comme la neige
celles qui nouent la gorge
celles qui rappellent l'enfance et l'école
et celles qui donnent faim
et
il y a les heures d'au-dessus
quand je te serre dans mes bras
et quand tu m'embrasses

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