La fleur et le papillon

 

 

Au bord d'un vert étang couvert de nénuphars

Poussait une fleur aux couleurs épanouies ;

Vint un papillon qui voletait au hasard,

Il remarqua la fleur et lui prit la lubie

De se poser près d'elle et d'aller lui parler,

Non pas pour la flatter, comme par élégance

Il l’aurait dû, mais au contraire, pour railler.

« Bonjour, ma petite fleur, as-tu bien conscience

Que tes pétales sont si brillants et radieux

Que l’on pourrait presque les prendre pour des ailes ?

Tu aurais pu être papillon, mais, ô Dieu,

Quel malheur, être si incroyablement belle,

Si merveilleuse, et incapable de voler !

Quel affreux coup du sort ! » dit le lépidoptère.

Puis il s’envola, amusé d’abandonner

La fleur, irrémédiablement plantée en terre,

Les yeux au ciel, humiliée et triste à mourir.

A peine avait-il décollé qu’une grenouille,

D’un coup, l’attrapa en plein vol pour l’engloutir.

La fleur, assistant à la mort de la fripouille,

Se réconcilia soudain avec son état

De petite plante, immobile et sédentaire.

N’écouter ni les moqueurs, ni les scélérats

Et s’aimer tel que l’on est, la morale est claire !

 

 

Le zèbre et le lion

 

 

Un zèbre et un vieux lion, sous le soleil d’Afrique,

À l’heure de manger, marchaient et discutaient ;

« J’ai imaginé, pour la chasse, une technique,

Elle est infaillible et garantit le succès :

Vois ce troupeau de gazelles qui pique-niquent

Va en faire le tour en restant très discret,

Et soudain, fais du bruit, agite tes rayures,

Fais-leur tellement peur, qu’elles courent vers moi,

J’en attrape une au vol et j’en fais ma pâture

Et le pré dégagé est un festin pour toi ! »

Le zèbre, fasciné par tant de nourriture,

Trouva très bon ce plan né dans l’esprit d’un roi.

Tout se déroula bien de façon nominale

L’équidé noir et blanc, conforme à sa mission,

Effraya les gazelles de façon brutale

Provoquant la panique et la consternation,

Mais leur agilité, en réaction vitale,

Les fit s’éparpiller en toutes directions

De sorte que le lion n’en attrapa aucune,

Ce qui lui inspira colère et déception !

Il conçut pour le zèbre une injuste rancune

Puisqu’il n’était pour rien dans l’organisation

Ni même responsable de cette infortune…

Mais tout peut provoquer la colère d’un lion !

« Alors, qu’as-tu bien pris ? Vas-tu faire bombance ? »

Interrogea le zèbre encor tout essoufflé.

« Constate de tes yeux, je n’ai pas eu de chance »

Lui répondit le lion par la faim tenaillé.

« Mais parbleu, mon ami, qu’as-tu pour ta pitance ? »

Lui demanda le zèbre, inquiet par amitié.

Le fauve courroucé, les yeux pleins de ténèbres,

Considérant soudain qu’un lion n’a pas d’ami,

Giflant l’autre d’un coup, lui brisa les vertèbres,

Murmura pour lui seul, par son geste réjoui :

« Un plat que j’aime aussi : de la viande de zèbre ! »

Puis il prit son repas avec bon appétit !

Le petit garçon et le singe

 

Un jeune enfant se promenait

Dans un jardin zoologique

Quand devant l’enclos où vivait

Une famille de nasiques,

Voyant la paix de la tribu,

Lui passa une idée en tête :

De les agacer tant et plus !

C’est aussi méchant que c’est bête !

Il ramassa quelques cailloux

Et les lança dans le grillage,

Guettant l’expression du courroux.

Soudain s’approcha le plus sage

Sans doute chef des grands simiens

Qui en toisant notre canaille

Lui parla tel un vrai humain :

« Es-tu si fier de ta trouvaille ?

Bien protégé par les barreaux,

Crois-tu faire œuvre de courage ?

Ce que tu fais n’est pas bien beau,

Tu veux déclencher notre rage

Dans le seul but de t’amuser…

Tu n’auras que l’indifférence

En retour de tous tes lancers !

C’est la fin de ton expérience ! »

Le jeune garçon fut saisi

D’une colère irrépressible :

Il cria, jura et bondit

Comme eut fait un singe irascible !

Faut-il une moralité

À cette distrayante histoire ?

Ami lecteur, tu peux juger

Par toi-même, tu peux m’en croire.

 

Comment faire avancer les rétifs

 

Un ânier et sa bête

Allaient sur un chemin

Quand l’animal soudain

Fit une halte nette !

L’homme eut beau le pousser par l’arrière

Tirer sur son harnais

Voire lui bastonner le derrière

L’âne restait figé…

Lassé de l’échec de toutes ses tentatives

Un peu pour le punir

L’ânier tira la queue de la bête rétive

Ce qui le fit bondir !

« Holà ! Non mais quoi ? Voudrait-on que je recule ? »

Pensa l’âne soudain,

« Je fais ce que je veux ! Il serait ridicule

Qu’ayant fait ce chemin,

Je n’achève la route ! »

Et marchant à nouveau,

Avance le bestiau,

Portant ses deux macoutes !

 

Il est certains têtus, de curieux caractères,

Dont on peut obtenir

Ce qu’on veut, sans faillir :

C’est en leur demandant de faire le contraire !

 

 

Le corbeau et le renard

 

Toutes les fables ont une moralité

Que l’histoire en entier parvient à justifier ;

Certaines cependant, pourraient bien sans problème

En proposer une autre, ou bien une deuxième.

 

Sans esprit de critique et sans pensée hautaine,

Car je respecte trop Monsieur de La Fontaine,

La fable bien connue où l'on voit le renard

Se jouer du corbeau en escroc goguenard

N'aurait-elle pas pu démonter aux enfants

Qu'être bien élevé est toujours important ?

Car enfin toute ruse aurait été bien vaine

Si le corbeau n'avait parlé la bouche pleine !

 

 

 

La bille et le caillou

 

Par un curieux hasard que je n’explique pas

Se trouvèrent posés, sur un plateau de table

Une bille de verre aux reflets formidables

Et un banal caillou vulgaire et sans éclat.

Parfaitement sphérique et transparente à souhait

La bille se prenait un peu pour une reine

Dont le caillou commun eut été un laquais

Indigne d’attention, qui n’en vaut pas la peine.

Le caillou, pour sa part, dans la situation

Ne voyait nullement qu’il y eut hiérarchie

Entre la bille et lui. C’est pour cette raison

Qu’il dit, quoiqu’agacé, en toute bonhommie :

« Dis donc, mademoiselle, veuille donc, s’il te plait

Démontrer gentiment un peu plus d’élégance,

Car mon sort et le tien sont évidemment liés ;

Qu’on nous ait réunis ne doit rien à la chance,

Il est certainement logique pour quelqu’un

De nous avoir posés ici, l’un avec l’autre ! »

« Pourquoi me parlez-vous, vous qui ne m’êtes rien ?

Rien n’unit, cher monsieur, mon destin et le vôtre !

Terne et irrégulier, vous être tout rugueux,

Ma surface est polie, mon volume idéal…

D’un rayon de lumière, je renvoie mille feux. »

Répondit-elle enfin sur un ton magistral.

Sous la table dormait un gros chien maladroit ;

Qui s’éveilla soudain pour partir en balade.

Il bouscula le meuble en marchant de guingois

Lui impulsant ainsi une faible saccade.

Qui ébranla la bille et qui la fit rouler,

Doucement mais tout droit, du centre à la bordure…

Alors que caillou, immobile et figé,

L’entendit choir au sol et mourir en fracture.

 

Le conte que voici est plus qu’évocateur…

Combien connaissons-nous, de gens de caractère

Vaniteux et imbus, se croyant supérieurs

Que la première épreuve réduit en poussière !

 

 

Le portefeuille et le porte-monnaie

 

D’un vêtement, la poche droite et la poche gauche étaient toutes les deux utilisées, et chacune était satisfaite de son sort. À l’une, on avait confié un portefeuille, l’autre hébergeait un porte-monnaie. Les deux ustensiles étant bien pleins, le vêtement penchait un peu du côté gauche.
Le porte-monnaie voyait dans sa pesanteur la preuve de son importance et de sa supériorité. On recourrait souvent à ses services pour acheter de quoi manger et boire, et parfois faire la charité.
« Je mène le monde et assure à mon propriétaire son train de vie » se vanta-t-il un jour.
Le portefeuille lui répondit : « sans peser bien lourd, je recèle pour ma part certains assignats et banque-notes capables d’acquérir, en une fois, plusieurs biens et services qui valent infiniment plus que toute la ferraille que vous pourrez compter au cours de votre vie ! »
Parmi les hommes, on trouve pareillement certains sots pour, tel notre porte-monnaie, confondre l’apparence de la force avec la puissance réelle. 

 

La lionne et le vautour 

 

Ce récit se déroule au cœur de la savane

Que le soleil d’Afrique inonde de sa manne.

Après que Dame Lionne ait attrapé un zèbre

Au terme d’une chasse inégale et funèbre,

Descendit des nuées un immense vautour

Dans un lent tourbillon qui tournoyait autour

Du reste ensanglanté du corps déchiqueté

De l’équité rayé à demi dévoré.

 

Et une fois l’oiseau posé près de la scène

Où le fauve repu s’est rempli la bedaine,

Il fut interpellé ; un argument s’engage

Vivement, franchement, sans effet de langage :

- Je ne vous aime pas, vous autres, charognards,

Vous profitez toujours, ainsi que des crevards,

Du produit de la chasse et du travail d’autrui

Comme si tout, pour vous, devait être gratuit ! »

 

L’oiseau lui demanda : « Quel est donc ce reproche ?

Et pourquoi m’agresser, à peine que j’approche ? »

De sa voix basse et grave, typique des grands mâles.

- Que te reproche-t-on ?   - Tout ce que tu avales,

Tu ne l’as pas gagné, et ni toi ni les tiens

Ne fournit nul effort pour assouvir sa faim. »

Lui répondit la lionne au comble du courroux,

Avec un regard noir exprimant le dégoût.

 

- Est-ce là le sujet, maîtresse de la chasse ?

Parce que nous mangeons les reliefs des carcasses

Sans avoir eu la joie d’assurer l’hécatombe ?

Que sur les assassins, la triste honte tombe !

Jamais je n’ai occis le moindre être vivant !

Et de l’art de tuer je veux être ignorant.

C’est de donner la mort que te vient ta fierté,

La mienne est, justement, de ne pas la livrer. »

 

Le carrosse et le moulin à vent

 

Un riche et beau carrosse allait sur un chemin.

Sur le bord de sa route, il croisa un moulin :

- Holà, bien le bonjour, misérable bâtisse »

Cria-t-il au pressoir tendu par mille drisses,

- Misérable ? Et pourquoi ? dit le moulin à vent,

Votre ton est méchant et bien plus qu’offensant ! »

- Enfin, mon bon ami, voyez comme je brille,

Je suis de soie et d’or, et tout en moi scintille ;

Vous êtes tout terreux, grisâtre et poussiéreux ;

Votre maître est manant, le mien majestueux !

Je suis quasiment noble et vous êtes immonde :

Nous n’appartenons pas, je crois, au même monde.

- Vous vous trompez, ami, nous sommes matériels

Vous et moi, tout pareils ! Votre rêve irréel

De voir sur vous tomber un peu de la noblesse

D’un maître qui ne vous confie que sa paresse

Confine à la sottise ! Prenez donc mon avis :

Il ne nous reste rien de ceux qu’on a servis ! 

Par ailleurs écoutez : on brille de l’usage

Par lequel nous servons, que nos maîtres soient sages

Ou complètement fous, voilà ce que je dis.

Si l’on porte à la bouche, après l’avoir béni,

Le fruit de mon travail que je fais dans la peine,

Je vois que votre cas n’est pas si belle aubaine

Car tous vos passagers, pensez-y maintenant,

N’assoient sur vos coussins rien plus que leurs séants ! »

 

 

L'âne, le bardot et le mulet

 

Un âne, un bardot et un mulet, trois amis,

Paissaient ensemble, et cette aimable compagnie

Échangeait gentiment différents points de vue

Sur les races, leurs avantages et vertus,

Mais il n’y avait point unité de pensée :

Le mulet prétendait, non sans quelque fierté

« Je suis le fils d’une jument ». « Moi, un cheval

Est mon père, dit le bardot, quoiqu’amicale

Soit notre tendre affection, nous pouvons bien le dire

Nous sommes presque nobles, et ce n’est pas trahir

Un secret que de reconnaitre qu’un baudet,

Un âne, ne descend pas de noble lignée ! »

 

L’âne répondit : « presque nobles, dites-vous ?

Mais a-t-on jamais vu, en figure de proue

La tête d’un bardot, ou alors en symbole

D’armoirie ? Et met-on des fleurs à vos licols,

Comme les hommes font à leurs chevaux parfois

Lorsqu’ils pavoisent tout, en leurs grands jours de joie ?

Vous savez bien que non… Pourquoi trouver misère

À n’être pas traités autrement que ses pairs ?

Ne travestissez pas la race dont vous êtes ;

Vous n’êtes pas chevaux, c’est là un simple fait !

Depuis toujours, les hommes vous voient en bâtards

Et moi, sincèrement, je n’y vois pas de tare.

 

Pour ma part je suis âne et nulle autre cavale,

Qu’on vienne à se tromper, je le prendrais fort mal !

Il n’est pas là question de souhait ni de vouloir,

On est tel que l’on naît, et vous pouvez m’en croire,

Le bonheur qu’on y trouve est en tout point pareil

À celui des chevaux. » Qu’on soit homme ou abeille,

Anguille ou chimpanzé, couleuvre ou grue cendrée,

Tout ce qu’a dit cet âne est pure vérité.

 

 

 

Eole et Hélios

 

Un voyageur avançait sur sa route,

Un homme avisé et prudent sans doute

Puisqu'il s'était vêtu d'un long manteau 

Qui devait être imperméable et chaud.

Deux Dieux puissants le regardaient aller

Quand l'idée leur vint de s'en amuser

« Je me fais fort, dit le Dieu des tempêtes, 

Comme on le ferait d'une marionnette 

De lui ôter son manteau, foi d'Éole ! »

Et il se mit à souffler. L'auréole 

D'un saint n'eut pas résisté à tel vent

Mais notre promeneur était vaillant 

Et serrait fort l'étoffe contre lui

Malgré les efforts par le Dieu produits.

Les arbres ébranlés perdaient leurs feuilles,

Les fruits pas murs tombaient sans qu’on les cueille

Quelques maisons furent ratatinées

Poutres et tuiles s’étant envolées

Les poteaux et panneaux jonchaient le sol

Les oiseaux étaient gênés dans leur vol

L’homme au manteau restait couvert

Malgré les vents de face et de travers…

Là, le soleil dit « Je prends la relève,

Voyons si je puis faire qu'il l'enlève… »

Et il se mit à chauffer l'atmosphère 

Produisant un effet caniculaire 

L'homme bientôt ouvrit son pardessus 

Puis l’ôta, comme Hélios l’avait prévu.

 

Ce récit dit que l’on peut, sans prouesse, 

Aisément obtenir par la douceur

Plus que par la violence et la fureur.

Ami lecteur, entends cette sagesse.

 

 

Le défilé

 

Les Dieux des animaux, un jour se demandèrent

Si le règne animal était vraiment heureux ;

Chaque espèce envoya un plénipotentiaire

À la convocation du tribunal des cieux.

 

Le singe se réjouit de marcher sur deux pattes

Puis il évoque l'ours qui le fait quelques fois

Mais pas toujours, hélas, et c'est ce qui l'épate.

On interroge l'ours : lui ? plus heureux qu'un roi

Et son sort lui convient. Il pense à la baleine

Qui vit dans l'océan mais respire de l'air,

Et ses difficultés lui font beaucoup de peine.

La baleine à son tour parle devant ses pairs :

Il lui plaît justement d'aller à la surface

Et n'être pas poisson pour vivre au fond des eaux,

Elle avoue se soucier pour les drôles de faces

Que sont la raie, la sole, et même le turbot.

On les appelle à témoigner les trois ensemble,

Mais ils n'ont rien à dire, ils plaignent l'escargot

Qui traîne sur son ventre et ce n’est, il leur semble,

De sa triste existence, pas le pire fardeau :

Comme c’est humiliant, en plus de ridicule,

D'être toujours contraint de porter sa maison !

Mais le gastéropode apprécie l'édicule

Qui offre à tout moment confort et protection,

Quant à traîner au sol, il dit s'en satisfaire

Car il a le vertige et serait malheureux

D'être écureuil volant presque jamais à terre.

On entend à présent cet animal curieux

Qui dit revendiquer le nom de « polatouche »

Et prétend s'amuser en allant dans les airs

Bien plus que le cafard à vivre sous des souches.

Le cafard est content car tout ce qu'on lui sert

Lui paraît savoureux ; il peut vivre à la ville

Tout comme à la campagne et tout lui est festin.

Il n'a pas à trier et c'est bien plus facile

Que de devoir choisir pour son pauvre intestin,

Comme le koala, la moindre victuaille

Avant de l'avaler, pour n'être pas souffrant.

Là, pour se justifier, le koala, qu'on raille,

Dit que l'eucalyptus est très revigorant

Et que cet aliment lui donne bonne haleine,

Pas comme le mouton qui n'est que puanteur !

Qui, lui, dit être fier de porter de la laine

Et n'aller pas tout nu, dénué de pudeur,

Comme font le boa, l'orvet et la vipère.

Eux aussi aiment bien leur nature de peau,

Ce qui leur semble, au trois, un sort bien moins sévère

Que se voir affublé d’horribles oripeaux

Comme seul le bison d’Amérique en supporte !

Questionné, ce dernier se dit plus que ravi,

Pour résister au froid, de ce manteau qu’il porte.

Il pense à la tortue, plus petite que lui,

Qui est fort engoncée, coincée dans sa cuirasse

Qu’il dit ne pas envier : sa forme et sa raideur

Ne lui conviendraient pas, il n’est pas de ces races

Qui bougent lentement et manquent de vigueur.

La tortue n’a pas lieu d’émettre quelque plainte,

Sa carapace est belle, et la protège bien

De tous les prédateurs, et elle vit sans crainte.

Puisqu’on parle d’armure, une question lui vient :

Le tourteau suivrait-il une curieuse mode ?

Son vêtement baroque, un peu bariolé

Paraît vraiment gênant et pas du tout commode

Au point que ça l’oblige à marcher de côté !

Le crabe se défend d’éprouver une gêne,

Car ne pas aller droit l’aide à rester furtif

Dans l’approche des proies : il les surprend sans peine !

Ce qui n’est pas le cas des fauves trop massifs

Tels le lion, qui pour attraper une gazelle

Doit s'essouffler beaucoup, sans même être assuré

De gagner à la fin… Il lui faudrait des ailes

Pour combler ce défaut de n’être pas discret.

Mis en cause, le lion dit bien aimer la course

Et aussi que son poil est sobre et élégant

Quant à sa taille, il est beaucoup moins gros qu’une ourse

Et bien moins disgracieux que l’est un éléphant !

Le pachyderme à trompe se met en colère

Il est grand comme il faut, et d’un élégant gris !

Que dira-t-on du dos du pauvre dromadaire,

Et du bec de l’ara, des dents de la souris ?...

 

Le défilé est long car tous trouvent normales

Apparence et odeur, taille et couleur de peau

Dont Nature les vêt ; mais plus originales

Leur paraissent celles des autres animaux !

 

Cette fable est, hélas, sans fin et sans morale

Sinon que chacun dit être heureux de son sort

Et qu'est pire que lui, dans la gent animale,

Toute autre créature. Ils en sont tous d'accord !

 

 

 

L'écureuil, l'ours et le renard

 

Un écureuil et un ours, grands amis,
Cherchaient un endroit pour passer la nuit ;
Un arbre géant au large branchage

Et au tronc creux offrant un commode antre
Se révéla, pour eux, un accueillant abri :

L'écureuil montant s’allonger sous le feuillage,

L’ours entrant dans l’arbre pour dormir en son centre.

 

Après qu’ils aient fini de s’installer,

Chacun des deux, chez lui, s’étant lové,

Ils échangèrent des vœux de doux rêves

Puis très rapidement, ils s’endormirent.

Un renard, chasseur nocturne, vient à passer ;

La faim lui oppresse le cœur et le soulève.

Dès qu’il voit l’écureuil, il se fige et l’admire.


Le renard pend l’écureuil pour un met

De choix, un vrai régal de fin gourmet,

Mais il ne peut atteindre son refuge

Car il n’est pas capable d’escalade.

Puisqu’il a vu sa proie et qu’il est affamé,

Étant assez madré, il trouve un subterfuge :

Convaincre l’écureuil de quitter son estrade.

 

Il le réveille ainsi : « Eh, mon cousin,

La queue en panache et le poil rouquin

Ne sont-ils pas nos marques de famille ?

Descends donc par ici, que l’on s’embrasse. »
Même à peine éveillé, l’écureuil est malin

Et le prendre à une ruse de pacotille

N’est pas facile, il a tout l’esprit de sa race.

 

- Bien sûr, j’en serais tout à fait ravi,

Dit-il, mais veux-tu réveiller aussi

Mon frère, au creux du tronc, où il sommeille ? »

Le renard, croyant croquer deux victimes

Au lieu d’une, se rue dans le trou et glapit.

Mais un ours n’aime pas vraiment qu’on le réveille

Et punit par la mort l’auteur de ce grand crime !

 

Ce récit offre deux moralités :

La première est que l’on est inspiré

De partager un sentiment sincère

Avec un ami puissant qui protège ;

La deuxième leçon que l’on doit en tirer

Est qu’un filou qui croit avoir fait son affaire

Peut aisément être pris à son propre piège.

 

 

 

La belette et les deux mulots

 

Dame belette, on le sait bien, fait régner la terreur

Au sein de nos campagnes parmi les petites bêtes.

Souris, mulots, campagnols et autres amis rongeurs,

Quand elle est alentour, ne sont jamais bien à la fête !

 

Elle est connue pour son agilité et sa souplesse,

Elle peut pénétrer dans les terriers les plus étroits

Et s’y livrer à un carnage digne d’une ogresse,

D’où vient que sa seule évocation cause un grand effroi.

 

Cette vilaine carnivore a un autre défaut,

Elle est une incorrigible et incurable curieuse,

C’est bien ce qui nous vaut ce récit presque rigolo :

Un beau jour, se promenait notre ineffable fouineuse,

 

Elle trouve sur la route une bouteille de verre

Sans réfléchir, elle met la tête dans le goulot,

Avançant peu à peu, y passe jusqu’à son derrière

Et se trouve coincée entre le col et le culot !

 

Deux jeunes mulots en vadrouille allaient par ce chemin

Sans but bien convenu, marchant en quête d’aventure ;

Trouvant la belette embouteillée, ils surent d’instinct

Le sort enfin de leur côté, la vengeance était sure !

 

Ils examinèrent tout d’abord la bête captive,

Immobilisée, bloquée, incapable de bouger.

Sans les craindre, ils pouvaient voir ses terribles incisives,

Ses griffes acérées et son museau tout écrasé.

 

Puis ils eurent l’idée d’un jeu avec le récipient :

En le faisant tournoyer et rouler sur les caillasses

Ils voulurent agacer leur ennemie, qui, dedans,

Leur paressait inoffensive et même assez cocasse !

 

Mais nos jeunes amuseurs, pris dans leur joie vengeresse,

Avaient négligé la vraie nature du matériau

De la prison cristalline et sa pauvre robustesse…

La bouteille ne supporta que quelques soubresauts

 

Avant d’aller droit se fracasser contre un gros caillou

Explosant en mille éclats, libérant sa prisonnière.

Sans même respirer, dans un vif accès de courroux,

Elle appliqua aux deux mulots sa rage meurtrière.

 

Nos deux petits innocents eussent été bien plus sages

De regarder sans l’approcher le transparent flacon

Mais souvent on aime jouir, omettant risque et dommage.

Mon très cher ami lecteur, retiens-en bien la leçon.